Un physique d’acteur américain des années 50, assorti le plus souvent d’un sourire indéfinissable, une répartie brocardeuse qui lui donnait, pour qui ne le connaissait pas, une impression de recherche de domination qui pouvait gêner ses interlocuteurs, quelles que soient d’ailleurs leur âge ou leur situation sociale.

C’est ainsi que Francè m’est apparu de prime abord, lorsqu’il trônait derrière son comptoir et que jeune homme, je venais timidement au milieu d’une conversation d’hommes, acheter une bouteille de gaz et que j’avais l’impression,  certainement à tort je m’en rendis compte plus tard, de déranger pour quelque chose somme toute d’assez dérisoire.

Ce n’était pas une posture, Francè ne cherchait pas à vous en imposer, c’était sa personnalité, sa nature, sa façon d’être.

Et pourtant Francè était un homme bon et généreux au point que j’en arrivais à me demander comment il pouvait faire pour vivre. Ce n’était jamais le moment de payer, ce n’était jamais pressé, « tu paieras plus tard » disait-il sèchement, c’était son leitmotiv. Il y avait chez lui une forme d’aversion envers l’argent ou peut-être de gêne et je doute fort qu’il eut pu un jour refuser du gaz à quelqu’un, à raison de son impécuniosité même déclarée.

Plus que le respect, il inspirait une forme de crainte, et même après avoir découvert l’homme qu’il était, je ne me serais jamais laissé aller à lui taper sur le ventre, comme l’on dit.

Plus tard, lorsqu’atteint d’une infirmité qui l’empêchait de se déplacer et que je lui rendais visite dans sa maison du Casone, la pièce minuscule dans laquelle il me recevait ne le départait pas de sa grande dignité de comportement et j’avoue que la forme de crainte révérencielle que je percevais adolescent, je la ressentais encore un peu, bien qu’exerçant des fonctions d’autorité.

Une anecdote qui illustre ce que fut Francè. A l’occasion d’une de mes visites, une femme était venue le voir avec son jeune garçon pour prendre de ses nouvelles. A l’issue de sa visite, Francè manœuvra son fauteuil roulant et prit dans un tiroir du buffet, dans un geste qui m’est apparu habituel, un billet de 100 francs qu’il remit au garçon. Peut-être était-ce là une façon délicate pour aider une famille en difficulté, alors que je ne suis pas sûr qu’il fût raisonnablement en mesure de procéder à de telles libéralités.

Francè fait certainement partie de ces hommes qui ont marqué mon esprit, alors même qu’il ne fût jamais mon ami, alors même que nos rapports sont toujours demeurés superficiels, je pense que nous avions su nous apprécier mutuellement, sans avoir besoin de l’exprimer.

Il nous a quittés il y a vingt ans aujourd’hui, ai-je lu. Je me devais d’apporter mon témoignage à ce qu’il fût, en faisant appel à mes souvenirs, en même temps que l’hommage de la commune de Pietra di Verde.       

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